Du 78 tours au disque compact

ROBERT CHARLEBOIS : Au cours de sa meilleure période, avec ici une approche aux propos bizarres et de l'humour. Au fait, je pense qu'en français, on se penchait trop sur les propos quand il s'agissait de rock.

MICHEL PAGLIARO : Manipulé par les compagnies de disques, qui l'obligaient à chanter des âneries et des versions de pièces anglophones, Pag manifeste ici sa réelle passion pour la première fois.

LUTINS : Identifié à deux chansons gags, ce groupe adolescent savait rocker, avec de la bonne batterie et de la guitare notable. Ils étaient alors à la fin de leur courte route.

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Quelle a été ma part dans la saga de Louie ? Mon roman Les fleurs de Lyse. D'ailleurs, la première partie de cette fiction porte le titre de L'homme qui aimait Louie Louie.

Nous sommes au coeur des années 60 et le roman met en vedette un groupe de rock turbulent appelé Les Indésirables, ayant comme chanteur Baraque Bordeleau, gaillard ours mal léché, excessif et imprévisible, avec quatre obsessions. 1)- La bière. 2)- La scrap (Ferraille) 3)- Les filles qui ressemblent à France Gall 4)- Louie Louie.

Pour Baraque, Louie est l'ultime rock, sa raison de vivre. Il désire faire de Louie l'hymne national. Bien sûr, les Indésirables jouent la pièce à chaque spectacle, parfois quatre fois de suite. Le  groupe enregistrera la chanson. Dans mon esprit, Baraque est inspiré du chanteur des Sonics.

Par contre, à leurs débuts, sous un autre nom, la formation avait un autre chanteur, détesté par les musiciens. Lors d'un spectacle dans une petite ville, Baraque surgit de nulle part, monte sur scène, bouscule le chanteur et prend sur place. Le colosse fait quelque peu peur aux gars, surtout en entendant un discours comme celui-ci :

Il y a des trésors, dans la scrap! J’ai grandi dans la scrap et c’est pour ça que j’aime le rock and roll qui sonne comme de la scrap, comme Louie Louie et Surfin’ Bird. Ça, c’est de la vraie scrap! Tout ce qui n’est pas de la scrap, je n’aime pas ça. Sauf les filles, qui ne sont pas de la scrap. Les filles, le rock and roll, la bière, France Gall et la scrap, c’est les plus belles choses dans la vie. Tu comprends? Et aucun ne va sans l’autre! Louie Louie, c’est la meilleure  chanson scrap de tous les temps! Quand je vas être premier ministre, je vas faire une loi qui dit que Louie Louie est l’hymne national. Avant chaque game de hockey au Forum, le monde va chanter Louie Louie avec l’orgue. À l’école, les enfants vont chanter Louie Louie en regardant le drapeau. Et vous autres, les gars, vous jouez Louie Louie comme des vrais scrapeux! J’ai jamais entendu quelqu’un jouer Louie Louie comme vous autres. Vous avez tout compris de la vie! Tout! »

PAUL REVERE & THE RAIDERS : Un autre cas de la popularité de la chanson dans le nord-ouest américain. Ceci a été enregistré quelques jours après les Kingsmen, dans le même studio.

SONICS : De nouveau de la même région. Sans doute la version la plus sauvage. Ceci n'est pas un disque punk de 1978 ni de 1996. Bel et bien de 1964, par le groupe le plus radical de leur temps.

TROGGS : Demeurons dans le domaine du rock décoiffant, alors que nos hommes des cavernes s'amusent avec un fuzz.

DON & THE GOODTIMES : Idem, avec un climat surchauffé, avec tous ces cris en introduction et un peu partout.

KINKS : Est-ce la première version européenne ? Peut-être...  Il existe un clip d'archive ou Dave Davies tord le cou à la chanson avec une partie vocale excessive.

BEACH BOYS : Version nettement inspirée du disque d'origine de Richard Berry.

ANGELS : Les filles aussi ! Bien sûr, ces demoiselles transforment la chanson au masculin.

ZÉNITHS : La seule version française que je connaisse, par un obscur groupe de la ville de Québec. Ça va pour la musique, mais il y avait un problème avec le chant... Bonne intention, pourtant.

OTIS REDDING : Aussi la seule intrusion soul que je connaisse.

TRAVIS WAMMACK : Et une version instrumentale à la guitare!

WEST COAST POP ART EXPERIMENTAL BAND : Bravo pour le nom long, mais ceci n'est pas si expérimental. Aspect inédit : du piano.

JULIE LONDON : Heu... Heuuuu... Étonnante initiative, non ?

On considère aussi ce disque comme le premier "rock de garage", c'est à dire débridé, amateur et ne respectant pas tout à fait les normes. Je suis d'accord, mais je nuance : des disques semblables, il y en avait eu avant, mais Louie fut le premier à se faire entendre massivement, via un succès radiophonique.

C'était un peu contre toute attente, car ce disque présente sa part de maladresses. Par contre, l'intro à l'orgue, la basse bien en avant et le batteur névrosé, je ne peux imaginer rien de plus rock pour 1963, d'autant plus que ceci allait paver la voie vers l'idée de tenter sa chance coûte que coûte, qui donnera lieu à la scène marginale dite de garage, entre 1965 et 1968 et qui, connue plus tard, allait changer la perception qu'on se faisait du rock 60.

Vous voulez une maladresse ? Soyez attentifs à ce qui suit le solo de guitare : le chanteur se remet très brièvement à l'oeuvre au mauvais temps, alors qu'il devait attendre le roulement de batterie. D'autant plus étonnant parce que le chanteur était aussi le batteur.

En fait, ce batteur, Jack Ely, n'était pas le chanteur des Kingsmen. Sa participation exceptionelle dans ce rôle est en grande partie responsable de l'aspect unique de Louie. En effet, Jack Ely n'avait aucune diction, si bien que les paroles des couplets semblent incompréhensibles. On jurerait un gars saoul qui chante. Le secret a été révélé plus tard : le micro était haut perché et Ely, tout en jouant de la batterie, avait la tête penchée vers l'arrière et projetait sa voix vers le microphone. 

Ceci a donné lieu à un chapitre étonnant, alors que plusieurs stations de radio ont interdit la chanson. Le sommet est atteint quand une gentille maman répond à la plainte de sa fille adolescente, qui, passant le 45 tours à la vitesse 33, semble entendre des vilains mots. Plainte de la mère, anecdotes dans la presse et l'affaire se rend à une enquête du FBI !

Enregistré - si je peux dire - en avril 1963 et lancé par une petite compagnie de l'Oregon, le disque a la faveur des stations de radio régionales. Le 45 tours est alors racheté par la maison Scepter de New York, qui le relance sur leur étiquette Wand. Le disque atteint le numéro 2 en novembre, c'est à dire qu'on en a vendu des millions.

Pas suffisant pour que les Kingsmen gardent Jack Ely, congédié, et le groupe poursuivra son chemin jusqu'en 1966, avec plus que souvent un "esprit garage." Mais ce qui allait suivre demeure unique dans l'histoire du rock.

J'imagine que c'est dans un de ces sacs qu'un (obscur) chanteur du nord-ouest américain, Rockin' Roberts, a trouvé le 45 de Berry. Il décide de l'enregistrer. Le type se fait accompagner par les Wailers, un groupe instrumental populaire dans cette région. Il faut croire que l'effort de Roberts ait rencontré un écho régionalement, car les versions subséquentes furent proposées par des formations de ce nord-ouest : Paul Revere and The Raiders, les Sonics, et les Kingsmen. Prochain article : le cas des Kingsmen et la naissance d'un culte rock and rollien.

Quelques mots sur les paroles : une histoire d'amour d'un marin qui prend un bateau pour retourner sur son île, afin de retrouver celle qu'il aime.