Du 78 tours au disque compact

Ma chanson préférée : Un homme, apprenant la loi de la prohibition, décide de faire des réserves et achète dix bouteilles d'alcool, qu'il place sur une tablette chez lui. Sauf que des visiteurs partent chacun leur tour avec une bouteille : le voisin, le propriétaire de la maison, sa belle-famille, le médecin, etc. Si bien que personne d'autre que lui ne profitera de la dixième, comme vous pourrez le constater.

Voici une preuve plus que centenaire. Ces six hommes étaient tous saxophonistes et n'avaient recours à aucun autre instrument sur leurs disques. Jamais croisé la chose depuis! Les sonorités diverses imitaient ces autres instruments, dans des arrangements qui paraissent simples mais qui étaient en réalité complexes, fruit d'un long travail de préparation.

Cinq de ces hommes étaient tout à fait des frères, avec un intru dans la famille. Ils étaient canadiens et ont fait leur apprentissage dans un... cirque! Écoutez attentivement ces différents saxophones.

Len Spencer était déjà un vétéran, au début du 20e siècle, ayant la particularité d'avoir enregistré des cylindres dès 1890. À l'origine, ses disques de comédies étaient enregistrés avec Billy Murray, dans le rôle de la femme. Un jour, Billy lui dit que ce serait mieux avec une véritable femme et qu'il en connaissait une qui accepterait. C'était Ada Jones, chanteuse, qui deviendra l'artiste féminine la plus populaire de ces premiers jours discographiques.

Les duos Ada et Len furent très populaires et, mine de rien, il s'agissait de tranches de vie de cette époque. Je possède des enregistrements où on les retrouve à la ferme, à une patinoire, à une foire, lors d'une danse champêtre, etc.

Mon choix : la femme est fatiguée après le grand ménage de la maison et quand le mari revient, il fait face à des abruptes interdictions : ne pas prendre place sur une chaise qu'elle vient de nettoyer, ne pas poser les pieds à tel endroit, ne pas déposer son chapeau sur la table. Il n'a pas le  temps de placer un mot, mais quand il y arrive, pour dire qu'il vient de retrouver les lettres d'amour de leurs jeunes jours, la femme devient plus attentive et tout ça se termine pas une roucoulade romantique.

La photo vaut le détour : Len et Ada devant le cornet acoustique lors d'un enregistrement.

Aucun Québécois francophone parmi ces gens. Leur musique, bien qu'avec une instrumentation jazz, n'en était pas réellement, mais il s'agissait d'une approche voisine de celle des grands orchestres yankees de Paul Whiteman et de Ted Lewis. Les cinq pièces ci-haut sont des compositions et j'ai croisé peu de versions d'airs populaires chez les voisins du Sud.

Gilmore cite Harry Thomas comme le premier musicien canadien à s'intéresser au jazz. Au cours des années 10, il avait été un pianiste de ragtime. Par ailleurs : le livre de statistiques de Joel Whitburn ne cite qu'Harry Raderman ayant eu un bref écho aux États-Unis. Autre source : la sphère sonore de la bibliothèque nationale du Canada nous indique que mes cinq invités avaient beaucoup enregistré, signe d'une certaine popularté, car les maisons de disques n'insisteraient pas sur un orchestre boudé par le public.

Vieillot, tout ça, mais les pièces de l'ère acoustique aux USA l'étaient aussi. C'était ma contribution didactique !

La photo : l'orchestre d'Harry Raderman, le joueur de trombone, au centre.