Je vais être honnête : Telstar est un disque qui a très mal vieilli. Par contre, si on l'écoute pour ce qu'il était et non pour ce qu'il est devenu, c'est un 45 tours fantastique. Personne, en 1962, n'avait jamais entendu rien de tel. C'est aussi un disque de producteur : le très doué Joe Meek, aussi compositeur de la pièce. Les Tornados ? Un groupe instrumental qui aurait pu être un autre, tant leur participation est anecdotique sur ce disque (hors le solo de guitare). Tout le reste est du travail de studio, avec l'utilisation d'une harpe, d'un bel écho sur la guitare. Ce qui domine surtout est ce qui semble être un orgue trafiqué. En réalité, cette sonorité de science-fiction modèle 1962 est un proto-synthétiseur du nom de Clavioline, manipulé par Geoff Goddard, qui n'était pas un membre des Tornados. Le même homme est aussi responsable de la partie vocale, vers la fin. Quant aux sons bizarres en introduction et en conclusion, il s'agit d'effets sonores passés à reculons.
Johnny Tillotson (1965)
Blue Mitchell, Waverley Street, 1959, Blue Soul
Ce que je vous propose est unique. Peut-être que certaines personnes pensent que les groupes d'harmonies vocales des années 1950 ne donnaient que dans la fantaisie, les onomatopées et que, en fin de compte, ils ne savaient pas chanter. Voici la preuve du contraire : une version a-capella d'un vieil air de folklore irlandais. Il y a ici une évidente richesse dans les voix et dans les arrangements vocaux. Je souligne que cette pièce n'a jamais été commercialisée à son époque. Il s'agit de la piste vocale, sans instruments. On imagine un directeur de la compagnie de disques Vee Jay arriver en studio et aboyer : "Ça ne va pas, non ? Un groupe de Noirs chantant une chanson irlandaise archi usée ? Ça ne tournera pas à la radio!" Et c'est pourquoi ce trésor est demeuré sur les tablettes pendant des décennies.
Je vous ai déjà présenté Johnny & The Hurricanes, premier groupe de rock à utiliser un orgue, cela en 1959. Par contre, la pièce que je vous présente avait précédé le groupe de quelques mois. Happy Organ atteint le sommet du Billboard américain en mai 1959. Dave Baby Cortez était un pianiste et chanteur de R & B, actif depuis 1956. À l'origine, Happy Organ était une pièce chantée. Insatisfait de son chant, Cortez a remplacé cette partie par un orgue (si bien qu'il joue le piano et l'orgue sur le disque). Superbe rock accrocheur avec deux musiciens de studio donnant pleine mesure : écoutez le jeu du batteur et le solo de guitare ébouriffé. Cortez obtiendra un autre succès radiophonique en 1962 avec la pièce Rinky Dink, mais son approche était alors davantage soul. Il enregistrera de nombreux microsillons au cours de la décennie 1960, reprenant à la sauce organique des chansons populaires du temps.
Une comète de l'histoire du blues, mais un artiste important. De son vrai nom Major Merriweather, Big Maceo, après des années d'apprentissage, débute en lion sur disque en 1941 avec la chanson que je vous propose, un véritable classique du blues. En plus d'exercer le style avec conviction, notre pianiste s'adonnait avec joie au boogie woogie. De graves problèmes de santé, en 1946, l'obligent à ralentir ses activités. Sur les disques suivant cette année, Maceo chantait, mais ne pouvait plus jouer du piano. Il est décédé en 1953, à l'âge de 47 ans.
Body and Soul était un standard très connu qui était souvent enregistré, depuis la fin des années 1920, quand le saxophoniste Coleman Hawkins offre une version inhabituelle. En effet, le musicien proposait le schéma suivant : thème + improvisation. Il s'agit de la façon de faire des premiers musiciens de jazz be-bop, autour de 1945. Bref, le disque de Hawkins était précurseur d'un courant.
Il est arrivé à Duke Ellington de suivre les sentiers battus, mais j'imagine que c'était sur les recommandations de sa compagnie de disques. De toute façon, le pianiste vendait tant de disques qu'il pouvait se permettre des approches moins commerciales, plus créatives. C'est souvent le cas vers la fin des années 1920, alors que le Duke composait des pièces quasi planantes, très étranges. L'on pense à The Mooche, à Mood Indigo, mais ma favorite du genre est Creole Love Call, dont la musique semble flotter et qui est rehaussé par les interventions bizarres de la chanteuse Adelaide Hall. Ne laissez personne prétendre que les musiciens de jadis ne savaient pas créer.
Éva Gauthier, Alouette (1917)
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on compose des chansons basées sur des faits et des personnages véritables. Casey Jones était un conducteur de locomotive. En 1900, en service pour un train de passagers, le véhicule fait un face à face avec une locomotive abandonnée sur la voie ferrée, à l'approche d'une gare villageoise. L'accident étant inévitable, l'assistant de Jones se précipite hors de la cabine, mais notre héros demeure aux commandes, tentant d'atténuer l'impact, afin que les passagers ne soient pas blessés. Casey Jones a été broyé. On disait qu'il avait donné sa vie pour éviter la mort aux gens dans les wagons. Évidemment, ce type de récit cache une réalité censurée par la légende : Casey Jones avait de l'avance sur son horaire et s'il l'avait respecté, les responsables de la gare auraient enlevé cette locomotive.
Les chansons du début du 20e siècle célébraient souvent les moyens de transport : le bateau, le train, puis ces deux merveilles du monde moderne : l'avion et l'automobile. Dans ce dernier cas, la voiture devenait toujours un prétexte romantique pour un homme désireux d'épater celle qui faisait battre son coeur. C'est le cas de la pièce que je vous propose, la plus populaire du style. Lucille est friande de la voiture de son petit ami et il la laisse même conduire, cela, bien sûr, vers l'église pour un mariage.
Le prolifique auteur Roméo Beaudry adapte en français le vieil air cow-boy Golden Slippers pour un commentaire amusé (du moins, je l'espère!) sur ces folles jeunes filles de 1928, qui "ne pensent qu'à s'habiller, se poudrer, se friser" et qui "ne pensent qu'à courir avec les garçons, c'est une vraie maladie pour elles." Quel monde, mais quel monde ! N'oublions pas qu'elles se laissent embrasser facilement et n'ont pas besoin de la présence d'un chaperon face à un garçon et "qu'il fasse chaud ou froid, elles n'ont presque rien sur le dos." Mine de rien, une chanson comme celle-là est un véritable témoignage social du Québec des années 1920. Larry Larrivée était un chanteur pris en main par Roméo Beaudry. Je me suis toujours demandé si c'était La Bolduc qui jouait de l'harmonica sur ce disque, tant le style est voisin de celui de la femme.